Note globale : ★★★☆☆
Langue : français
336 pages
Editeur : Grasset
Collection : En lettres d’ancre
Prix : 20.90€
« Elio Perlman se souvient de
l’été de ses 17 ans, à la fin des années quatre-vingt. Comme tous les ans, ses
parents accueillent dans leur maison sur la côte italienne un jeune
universitaire censé assister le père d’Elio, éminent professeur de littérature.
Cette année l’invité sera Oliver, dont le charme et l’intelligence sautent aux
yeux de tous. Au fil des jours qui passent au bord de la piscine, sur le court
de tennis et à table où l’on se laisse aller à des joutes verbales enflammées,
Elio se sent de plus en plus attiré par Oliver, tout en séduisant Marzia, la
voisine. L’adolescent et le jeune professeur de philosophie s’apprivoisent et
se fuient tour à tour, puis la confusion cède la place au désir et à la
passion. Quand l’été se termine, Oliver repart aux États-Unis, et le père
d’Elio lui fait savoir qu’il est loin de désapprouver cette relation
singulière…
Quinze ans plus tard, Elio rend
visite à Oliver en Nouvelle-Angleterre. Il est nerveux à l’idée de rencontrer
la femme et les enfants de ce dernier, mais les deux hommes comprennent
finalement que la mémoire transforme tout, même l’histoire d’un premier grand
amour. Quelques années plus tard, ils se rendent ensemble à la maison en Italie
où ils se sont aimés et évoquent la mémoire du père d’Elio, décédé depuis.
Appelle-moi par ton nom est un roman d’amour
singulier tout autant qu’une réflexion sur la mémoire et l’oubli. La langue à la fois précise et
sensuelle d’André Aciman parvient à évoquer la tyrannie des corps – mais aussi
la part de brutalité qui se niche dans tout éveil au sentiment amoureux – avec
une élégance rare.
Ce roman, devenu culte dans le
monde anglo-saxon à l’instar de
Brokeback Mountain, est adapté au
cinéma par Luca Guadagnino (sortie française
le 28 février 2018). Call me by your name est donné comme l'un des favoris pour
les oscars. »
A travers cette histoire hors du
temps et hors du monde, André Aciman explore sans détours les rouages du désir
et du sentiment amoureux. Elio et Oliver, à l’image d’Ariane et de Solal dans
Belle du Seigneur, s’évertuent à créer une idylle absolue, hors du monde et
hors du temps, maintenue à distance de la perspective de leur propre mort,
alors même que leur relation s’annonce d’entrée de jeu impossible. L’auteur
s’attache ainsi à inscrire la narration dans un contexte idyllique, idéal : des
vacances d’été dans une Italie paradisiaque, sans l’ombre d’un jugement, où le
temps semble s’éterniser et où rien ne peut troubler l’épanouissement des
sentiments. La villa semble ainsi être le seul et unique lieu possible de cette
relation encore taboue pour le reste du monde. La villa devient un paradis
terrestre où tout est possible, où l’on parle toutes les langues, où tout est
accepté. A l’image de Tristan et Yseut mais encore d’Ariane et Solal, Elio et
Oliver s’isolent du reste du monde car leur relation ne peut survivre que dans
le microcosme de la villa italienne. A ce titre, le film me semble très bien
souligner cette intemporalité qui caractérise la relation amoureuse : le temps
semble s’écouler à la fois trop lentement et trop rapidement, et certains
spectateurs et lecteurs n’apprécieront pas cette lenteur. Elle me semble
toutefois s’inscrire de façon pertinente dans la démarche d’Aciman. Toutefois,
le temps n’arrête jamais son cours et la mort s’immisce peu à peu dans cette
relation idéale et absolue, rapprochant encore une fois ce roman du
chef-d’œuvre d’Albert Cohen : vers la fin du roman, le temps semble s’accélérer,
et les personnages quittent peu à peu l’idylle au profit de la réalité,
confrontation qui atteint son paroxysme lors du voyage à Rome, jusqu’à la
rencontre finale entre les deux personnages, quelques années après. C’est en
effet à Rome que les deux personnages prennent conscience de l’impossibilité de
maintenir leur relation dans ce monde humain par trop normé et intolérant,
lorsque, alors qu’ils s’embrassent dans une ruelle sombre, Elio perçoit la peur
d’Oliver. Les personnages sont ainsi progressivement ramenés à la réalité des
conventions sociales qui pèsent sur eux. André Aciman nous livre ainsi un
portrait à double tranchant, entre idéalisme et réalisme, de la relation
amoureuse homosexuelle dans les années 1980. Un grand changement s’en ressent
dans l’écriture : la poésie et l’introspection des premières pages laissent
place aux conversations et à l’animation de Rome. Tout comme le livre, le film
souligne, par la beauté de sa photographie, la dimension profondément
esthétique, absolue, idyllique que les personnages placent dans leur relation ;
beauté rompue par la ville, incarnation même du monde réel et prosaïque qui
vient signer la fin de la relation.
A l’image de Belle du Seigneur, ce roman
d’apprentissage pose la question fondamentale de la construction de l’identité
à l’adolescence. Elio est en proie à des émotions qu’il essaiera de comprendre
et d’accepter tout au long du roman. L’écriture d’André Aciman souligne avec
acuité les questions et les introspections du jeune adolescent poussé par le
besoin de se comprendre, de donner du sens à ses pensées et à ses émotions.
Malgré l’omniprésence des introspections d’Elio, j’ai éprouvé quelques
difficultés à comprendre ce qui produit la naissance du sentiment amoureux. Le
visionnage du film m’a également laissé cette impression, mais il me semble que
l’auteur reste lui aussi très flou à ce sujet, peut-être là encore dans
l’optique de souligner l’impossibilité d’expliquer le sentiment amoureux, d’en
souligner la complexité. Par son écriture poignante et poétique, l’auteur nous
fait ainsi embarquer dans la quête d’identité d’Elio, sans pour autant omettre
les difficultés qui accompagnent la construction de la personnalité : comment
faire la différence entre soi-même et les autres ? Puis-je être un individu
indépendant, autonome, alors que je m’inscris dans un cercle familial qui me
dépasse et me conditionne ? Suis-je seulement en mesure d’apporter une réponse
à ma quête identitaire et à ces questions qui me taraudent, ou ma propre pensée
est-elle vouée à m’échapper ? La judéité, par exemple, devient non seulement un
nouveau prétexte de communion entre Elio et Oliver, mais représente également
le besoin, pour Elio, d’appartenir à une communauté plus large et millénaire,
qui me semble fondamental au vu de l’histoire du peuple juif. Je regrette
toutefois que l’auteur n’ait pas soulevé la question de la tolérance à l’égard
de l’orientation homosexuelle, qui reste un point complexe dans la tradition
judéo-chrétienne, mais je suppose que qu’Aciman a voulu, dans la lignée de la
relation amoureuse entre Elio et Oliver, conserver cette dimension idéaliste et
absolue en évitant soigneusement des sujets controversés qui appartiennent très
précisément à ce que les deux amoureux veulent oublier. De la même manière, la
tolérance dont fait preuve le père d’Elio dans sa tirade à la fin du roman m’a
paru peu réaliste compte tenu du contexte dans lequel l’histoire est supposée
s’inscrire. La famille d’Elio en elle-même participe de cette dimension idéale
: elle est extrêmement cultivée, tous sont très érudits, parlent plusieurs
langues… Le film et le livre m’ont cependant paru insister un peu trop
lourdement sur cet aspect qui ne me semble pourtant pas primordial et que
certains jugeront quelque peu prétentieux. De ce fait, le roman semble prendre
une teinte qui paraîtra un brin idéaliste à certains lecteurs, mais qui me
semble malgré tout motivée par la démarche de l’auteur dans ce livre : créer
une histoire hors du monde, intouchable, du moins jusqu’à ce que les deux
personnages acceptent de faire face à la réalité. La relation amoureuse semble
ainsi à la fois déterminante et destructrice dans la construction de l’identité
des personnages : ils sont à la fois l’un et l’autre, mais la réalité les
empêche de communier dans une relation absolue et idéale.
Ce livre conviendra non seulement
aux adolescents mais également aux adultes qui veulent revenir sur les traces
de leur première histoire d’amour et de leur adolescence, et plus généralement
à tous ceux qui s’interrogent sur le sentiment amoureux et sur la quête
identitaire.
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